Baisse des loyers : le décret viole les principes sacro-saints de la hiérarchie des normes
Le président Macky Sall a évité l’Assemblée nationale pour concrétiser ses mesures sur la baisse du loyer.
À la place d’un projet de loi, une requête ayant pour objet de déclarer le « caractère réglementaire de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée » a été faite auprès du Conseil constitutionnel par le Premier ministre afin de permettre que la simple signature d’un décret puisse permettre de faire procéder à la baisse des loyers.
Ce processus autorisé par la constitution sénégalaise en son article 76 a permis de contourner le débat parlementaire qui était le plus indiqué afin de mieux cerner les tenants et aboutissants d’une telle réforme.
Le prétexte du gain de temps qui a été brandit ne peut évidemment prospérer puisque le processus de saisine du Conseil constitutionnel a été enclenché depuis le 18 novembre 2022 à travers le courrier n° 00002656 MCCPME/CAB/DC/SPM du 18 novembre 2022 envoyé par le Ministre du Commerce, de la Consommation et des Petites et Moyennes Entreprises, afin de solliciter l’avis juridique du secrétariat général du Gouvernement sur la possibilité de procéder à la modification de la loi précitée par voie réglementaire.
Depuis lors près de 4 mois se sont écoulés. La saisine de l’Assemblée nationale aurait pris moins de temps et aurait pu permettre d’avoir un débat constructif sur une question d’intérêt national qui fait partie de l’une des préoccupations majeures des populations.
Ce contournement des représentants du peuple à l’hémicycle pour imposer une volonté unilatérale de l’exécutif ne manque pas de soulever, à notre niveau, des interrogations sur la légalité du décret après sa publication au journal officiel.
Il faut noter que dans sa décision n° 2/C/2023 du 1er février 2023, le conseil constitutionnel n’a pas déclaré le caractère réglementaire de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée conformément à la volonté du Premier ministre.
Le conseil constitutionnel a plutôt étudié les différentes dispositions de la loi et en a ressorti une décision hybride qui attribue aux articles premier et 2 un caractère réglementaire (conformément aux dispositions de l’article 67 de la constitution et de la loi portant Code des obligations civiles et commerciales en son article 572, alinéa 2).
Ensuite l’article 3 de ladite loi a été désigné comme relevant du domaine législatif.
La loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant « baisse des loyers n’ayant pas été calculée suivant la surface corrigée » a donc un caractère hybride en hébergeant des dispositions ayant un caractère réglementaire et une disposition relevant du domaine législatif.
La requête du Premier ministre auprès du Conseil constitutionnel, qui visait à modifier la loi par voie réglementaire conformément aux dispositions de l’article 76 de la constitution n’a donc pas été totalement satisfaite.
Malgré cela, la modification de la loi a été effectuée à travers un décret.
Or, compte tenu des règles de la hiérarchie des normes juridiques et du parallélisme des formes, il reste évident que si une modification doit s’opérer le décret ne peut modifier que la partie de la loi déclarée par le conseil constitutionnel comme ayant un caractère réglementaire. C’est-à-dire les articles 1 et 2. L’article 3 qui est du domaine législatif ne peut être modifié par un décret et ne peut être pris en compte dans un décret.
Ce qui justifie certainement que dans le projet de décret publié au journal officiel, l’article 3 de la loi a été enlevé et seulement y figurent les articles 1 et 2 modifiés.
Il se trouve, cependant, que la loi portant baisse des loyers n’a pas été abrogée et remplacée par une autre loi. Elle doit juste été modifiée conformément aux dispositions de l’article 76 de la constitution.
Par conséquent, ladite loi portant « baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée » reste toujours en vigueur.
Elle ne peut donc être exécutée partiellement en ignorant sa partie législative. C’est le TOUT (partie à caractère réglementaire et partie législative) qui constitue la loi.
Attendu que la partie législative ne peut figurer dans un décret conformément au principe de la hiérarchie des normes et du parallélisme des formes ; que la partie ayant un caractère réglementaire ne constitue pas à elle seule la loi ; la décision du conseil constitutionnel oblige l’exécutif à passer par l’Assemblée nationale.
En effet, seule l’Assemblée nationale à travers le vote d’une modification de la loi précitée peut permettre de régler les limites que comporte un décret face au caractère hybride de la loi du point de vue législatif et réglementaire.
Une loi permettra de modifier, sans exclusion, les dispositions qui sont à la fois de formes législatives et à caractère règlementaire ainsi que les dispositions à caractère typiquement législatif.
Le décret n° 2023-382 du 24 février 2023 modifiant la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant « baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée », tel que présenté nous renvoie à une situation inédite où nous avons une partie d’une loi non abrogée extraite de cette loi à travers un décret et versée dans l’inconnu.
Notons ensemble les anomalies savantes : Dans son intitulé le décret nous promet ainsi de modifier une loi (décret n° 2023-382 du 24 février 2023 modifiant la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant…) dont il ne peut toucher à la totalité de ses dispositions puis dans la légistique, une partie de la loi ayant un caractère législatif est extraite de ladite loi par un décret qui est un acte réglementaire et au nom d’une délégalisation qui ne peut concerner que les articles 1 et 2 de la loi conformément aux dispositions de l’article 76 de la constitution et à la décision n° 2/C/2023 du 1er février 2023 du conseil constitutionnel.
Le décret n° 2023-382 du 24 février 2023 modifiant la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant « baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée » viole ainsi, d’une manière flagrante, les principes sacro-saints de la hiérarchie des normes et du parallélisme des formes.
Thierno Bocoum
Ancien parlementaire
Prèsident du mouvement AGIR
Jummah Mubarack et bon temps de Carême chers amis